Eclairage nocturne: Genève se met au noir!

AMÉNAGEMENTVille et Canton baissent progressivement la lumière sur les routes pendant la nuit. Objectif: diminuer la consommation d’énergie  et réaliser des économies. De quoi provoquer la peur chez certaines personnes.

Les plombs ont-ils sauté à Plan-les-Ouates? Des habitants fustigent la politique d’éclairage public qui a plongé la commune dans la nuit la plus totale, déjà en mai. A l’exception des passages piétons, des abords d’établissements scolaires et de certains chemins notamment sans trottoir, c’était extinction des feux dès 17h sur l’ensemble du territoire. Alors? «Nous redoutions de nous faire agresser en allant faire nos courses en fin d’après-midi, de heurter un obstacle indistinct ou encore que nos logements ne deviennent des cibles faciles pour les cambrioleurs», énumèrent de nombreux Plan-les-Ouatiens. En un mot: il était impossible pour une partie de la population – singulièrement féminine, infantile, âgée ou à mobilité réduite – de quitter son domicile et de se déplacer à pied ou à vélo avant les premières lueurs du jour.

Que se passe-t-il dans la petite ville pourtant économiquement dynamique? Le conseiller administratif, Mario Rodriguez explique pourquoi cette extinction des candélabres est intervenue au printemps. «Dans
un contexte énergétique problématique, nous voulions réduire la consommation d’énergie (4e source de consommation de la commune) et préserver la biodiversité.
Parallèlement à cette mesure, nous escomptions achever notre plan lumière dès cet automne. Il ne sera opérationnel que l’an prochain. Car le Conseil administratif doit encore préciser certains types d’éclairage (système de détection de mouvement ou de luminosité régressive selon les lieux)», reprend l’élu.

En attendant et face à la montée au créneau des habitants de la commune, la Municipalité a revu sa copie. «Depuis dix jours, un candélabre sur deux est allumé toute la nuit. L’éclairage actuel, trop obsolète, ne permet pas de programmation plus fine», assure encore le magistrat communal. Mais les habitants sont-ils satisfaits pour autant? Pas dit. Un débat qui concerne également la Ville de Genève et les 15'000 points lumineux qu’elle compte sur son territoire pour un coût de consommation total de l’éclairage public de 800'000 francs. Ici aussi, l’abaissement de l’éclairage est de mise, tout comme la volonté de réaliser des économies. «Depuis 2009, grâce à deux importantes campagnes de remplacement des luminaires, la consommation énergétique publique a diminué de plus de 35%. Cette réduction est due en grande partie aux remplacements des sources lumineuses ainsi qu’aux différents abaissements d’intensité qui varient en fonction des quartiers et des usages», précise le service de l’Aménagement, du génie civil et de la mobilité (AGCM).

Préserver la biodiversité

Plus largement, le plan lumière, révisé en 2021, souhaite encore davantage intégrer les enjeux liés à la préservation de la biodiversité, tout en offrant des espaces «accueillants» pour
la population. «Il s’agit d’utiliser l’éclairage de façon plus responsable et de le considérer comme une ressource précieuse et plus infinie», éclaire la Ville. Un plan lumière qui s’appuie sur plusieurs critères: la temporalité de l’éclairage, la qualité de la lumière et
la photométrie utilisée (gestion de
la diffusion de la lumière).

Sécurité «objective»

«S’agissant d’une extinction complète, elle n’est pas, à ce jour, envisagée. La stratégie actuelle vise à abaisser au maximum la luminosité durant certaines heures de la nuit aux endroits jugés très sensibles pour la biodiversité. Cette position permet d’accompagner la population dans ce changement visant à limiter la consommation excessive de nos ressources», détaille encore l’AGCM. Interrogé sur la question sécuritaire, le département se veut confiant. «Concernant la sécurité objective, les statistiques (lire encadré) démontrent que l’éclairage ne résout pas les problèmes d’incivilité et de violence.» Si la problématique a été saisie par les communes, l’Etat de Genève n’est pas en reste. Les autorités cantonales planchent actuellement sur le plan OptimaLux, qui vise à éteindre l’éclairage public sur les routes. But: réaliser des économies d’énergie, améliorer la qualité de vie des habitants et préserver la faune nocturne. Près de la moitié des 8500 points lumineux situés sur le réseau routier cantonal est concernée. Mais, initialement prévu dès cet automne, le projet a finalement pris du retard. Il nécessite en effet une vaste consultation des différentes parties prenantes, indique l’Office cantonal des transports (OCT).

Une thématique également surveillée de près par le Touring club suisse (TCS), qui défend la mobilité individuelle. L’association redoute notamment une hausse des accidents. «Dans la nuit ou la pénombre, la visibilité diminue drastiquement et, sans éclairage public, les usagers les plus vulnérables, comme les piétons et les cyclistes, pourraient être vus trop tardivement par un véhicule», estime Yves Gerber, directeur. Et de mettre en garde. «Si l’éclairage diminuait ou disparaissait, tous les usagers de
la route devraient redoubler de prudence et vérifier leur visibilité avant de s’élancer sur la chaussée». Pour cela, le TCS appelle les conducteurs de deux-roues à équiper leur véhicule de réflecteurs et de porter des tenues claires ou munies d’éléments réfléchissants. L’association invite aussi les piétons à augmenter leur visibilité par leur habillement. «Echarpes, stickers, pendentifs, sacs à dos stylisés: il existe de multiples possibilités pour mieux se rendre visible», conclut Yves Gerber.


Insécurité et sentiment d’insécurité

«Il va de soi que la Ville reste très attentive aux besoins de sécurité de la population, en particulier de celles et ceux qui ont le plus de raisons de se sentir en situation de vulnérabilité. Une extinction complète de l’éclairage n’est donc pas à l’ordre du jour et l’évolution doit être progressive», détaille de son côté Frédérique Perler, à la tête du Département de l’aménagement, des constructions et de la mobilité en Ville de Genève. La magistrate estime toutefois que des efforts doivent encore être faits. «Il est possible de répondre aux besoins de sécurité avec un éclairage plus doux et plus ciblé, qui peut être variable selon le lieu ou l’horaire (les nécessités ne sont pas les mêmes en soirée par rapport au cœur de la nuit). L’équation entre lumière et sécurité est d’ailleurs tout sauf absolue: l’éclairage est certes garant de visibilité, mais une lumière tamisée incitera davantage les usagères et usagers de la route à tempérer leur vitesse, ce qui est bénéfique du point de vue de l’accidentologie.»

Pour Frédérique Perler, il s’agit également de faire la distinction entre l’insécurité réelle et le sentiment d’insécurité. «Au-delà de la sécurité objective, la population exprime des sensibilités très diverses par rapport au lien entre lumière et sentiment de sécurité, comme l’ont montré des enquêtes de terrain: certaines personnes seront rassurées en évoluant dans une luminosité intense car elles ont l’impression de pouvoir contrôler leur environnement, alors que d’autres s’y sentiront au contraire très exposées, voire trop visibles, parce que l’obscurité leur apparaît comme bien plus protectrice», conclut la conseillère administrative.