Septante-six. C’est le nombre d’affaires touchant la police traitée par l’Inspection générale des services (IGS) à Genève en 2022. Un chiffre plutôt stable, puisqu’on recensait 97 plaintes en 2020 et 73 en 2021. Une grande majorité d’entre elles se concluent par des ordonnances de non-entrée en matière ou de classement. Reste l’importance du nombre.
De quoi interpeller Amnesty International, qui demande depuis des années davantage de mesures contre les abus policiers. «Il est très difficile pour une personne de porter plainte contre la police. Les procédures judiciaires sont souvent longues et pénibles. Elles se terminent rarement en faveur du plaignant, ce qui engendre un sentiment d’impuissance», déplore Alicia Giraudel, juriste et experte en droit humain dans les domaines de l’asile et de la police auprès d’Amnesty International pour la Suisse romande.
L’ONG pointe les nombreuses difficultés lorsqu’il s’agit de dénoncer des cas d’abus de la part des forces de l’ordre. «Les personnes victimes de violences policières hésitent souvent à déposer plainte en raison des frais d’avocat, du manque d’information ou d’un risque de retraumatisation, détaille Alicia Giraudel. Mais elles peuvent également avoir peur des représailles, par exemple avec une contre-plainte.»
Plus d’indépendance
Pour Amnesty International, les enquêtes pénales en la matière manqueraient souvent d’impartialité: «Rien n’a vraiment changé. Il existe une connivence entre la police et le Ministère public. C’est pourquoi nous demandons que des instances indépendantes soient créées dans tous les cantons de Suisse, dont Genève. Il s’agirait d’une instance de plainte dotée d’un mandat clair et de ressources adéquates. Elle devrait avoir les pleins pouvoirs d’enquête sur toutes les allégations de violations graves des droits humains commises par des agents de police ainsi que des capacités de mener ses propres enquêtes.»
D’après la juriste, un tel mécanisme permettrait aux témoins de déposer plainte sans crainte. Mais également de renforcer la crédibilité de la police et la confiance du public dans l’institution.
Enfin l’ONG regrette qu’il n’existe pas de statistiques sur les procédures pénales contre des policiers. «D’une part, les plaintes contre les policiers ne sont pas systématiquement enregistrées ou les données correspondantes ne sont pas publiques. D’autre part, il n’existe pas en Suisse d’infractions pénales spécifiques applicables en cas de violences policières», explique Alicia Giraudel.
Pistes d’amélioration
De son côté, la police genevoise se défend de tout manquement. «Si une personne estime avoir été lésée lors d’une interaction, nous l’encourageons fortement à solliciter l’Organe de médiation de la police (OMP), lequel est indépendant, ou de déposer une plainte auprès du Ministère public ou auprès de la commandante de la police», affirme Alexandre Brahier, porte-parole. Et d’assurer que «L’OMP est en contact régulier avec la Direction de la police afin, entre autres, de rapporter d’éventuels problèmes récurrents et donc des pistes d’améliorations.»
Par ailleurs, la police genevoise assure que chaque usage de la force par un agent fait l’objet d’un rapport analysé par la hiérarchie. «Si des différences sont constatées entre le déroulement des faits, l’usage de la force et les blessures, le cas sera dénoncé au Ministère public», précise Alexandre Brahier.
Enfin, une attention toute particulière serait prêtée à la problématique du délit de faciès. «Elle est abordée dès le début de la formation, puis de manière régulière sur l’ensemble de la carrière. Plusieurs heures de cours concernent la perception et les influences sociales (stéréotypes et préjugés), le contexte des migrants ou encore sur le thème du racisme et des groupes vulnérables», conclut le porte-parole.