Pierre Maudet:" Il va falloir corriger ce qui a été fait en dépit du bon sens"

Nouveau ministre des Mobilités (et de la Santé), Pierre Maudet dévoile 
sa feuille de route. Le magistrat, n’a pas attendu les traditionnels 100 jours pour retrousser les manches. Certes, la Genève qui se déplace, en transports collectifs, privés motorisés ou en mode doux, se heurte aujourd’hui à de nombreuses chicanes. Voilà qui ne donne guère l’impression de s’inscrire dans l’esprit d’une loi pour une mobilité cohérente. 
Rencontre sur le terrain exclusif de la mobilité. 


  • Le conseiller d’Etat veut mettre de l’huile dans les rouages d’une mobilité grippée par des procédures judiciaires.  photos stéphane Chollet

GHI: Les Genevois vous attendent au tournant quant à votre vision de la mobilité. Avant d’en circonscrire les principes, quel état des lieux dressez-vous de la situation actuelle? 

Pierre Maudet:  Je constate qu’une multitude de dossiers sont immobilisés par des mesures judiciaires. La généralisation du 30 km/h, par exemple cumule à elle seule 6 recours émanant de partis politiques, d’associations actives dans la mobilité, ou encore de particuliers. Autant de procédures qui n’aboutiront pas avant quatre ou cinq ans. Il y en a beaucoup d’autres. C’est donc pour favoriser le dialogue entre chaque partie prenante que j’ai lancé les Etats généraux des mobilités, une première étape a eu lieu début septembre et la seconde est agendée au 17 octobre.

– Cette absence de concertation vaut aussi pour les acteurs de 
la mobilité?

Oui. On fonctionne beaucoup trop en silo, sans se parler, chacun défendant son pré carré. On ne peut pas, par exemple, fermer 
les petites douanes au trafic frontalier pour de légitimes raisons de nuisances sonores ou de pollution de l’air et laisser faire sans aucune alternative. C’est à l’échelle de la région et pas seulement sur le seul territoire genevois que la mobilité doit s’articuler. Pour être plus précis, c’est dans un cercle de 50 km de rayon depuis le centre-ville

que la thématique des déplacements doit être prise en compte. 
Je suis parfois frappé par la différence qui existe entre la manière dont 
les politiques – pourtant enclins à un espace public pacifié – et l’administration perçoivent la mobilité par rapport à celles et ceux qui la vivent tous les jours. Enfin, même si je ne suis pas ingénieur (NDLR: contrairement à son prédécesseur Serge Dal Busco), j’estime que nous pourrions mieux exploiter l’énorme quantité de données numériques à disposition, notamment pour connaître les flux en temps réel, dans le but d’augmenter la fluidité des déplacements.

– Quel est le train de mesures à mettre en place dans les quatre à cinq ans à venir?

Il va falloir corriger ce qui a été fait en dépit du bon sens, comme notamment le secteur de Cornavin. Et puis, réserver les pistes cyclables exclusivement aux cyclistes. La Voie verte Annemasse-Eaux-Vives, qui juxtapose différents flux mobiles, n’est pas une réussite en termes de sécurité. De la même manière, nous devons réfléchir à la mise en place d’espaces dédiés à la marche. D’autant qu’elle figure de loin le principal moyen de transport des Genevoises et Genevois. Globalement, mon objectif est de permettre à toutes les formes de mobilités de se déployer en toute sécurité. Mais le ministre de la Santé que je suis aussi est très conscient des conséquences néfastes de l’inhalation de particules fines sur l’organisme. Il va donc falloir réduire l’accès des voitures en ville en installant des parkings P+R en France ou en zones frontières afin que les automobilistes venant du pays voisin laissent leur véhicule et utilisent soit un mode doux (vélo, trottinette) soit un bus ou tram pour rejoindre leur poste de travail. J’aimerais aussi convaincre les entreprises implantées à la Zimeysa et la Ziplo, zones industrielles respectivement de Meyrin-Satigny et de Plan-les-Ouates de freiner ou stopper la mise à disposition de places de parking à leurs employés afin de diminuer le trafic motorisé individuel. Enfin, je suis convaincu qu’il est possible de donner un coup d’accélérateur à un covoiturage efficace, sécurisé et assorti de contrôles.

– Et la gare Cornavin, on efface tout et on recommence?

A la dernière séance du Grand Conseil vous avez annoncé que la décision de fermer le pourtour de Cornavin à la circulation était caduque? Ce projet n’est pas caduc mais il doit être reconsidéré en lien avec les chantiers ouverts en parallèle en ville, les travaux de la gare qui ont été repoussés par les CFF et globalement, la mise en œuvre de la moyenne ceinture. Le bon sens m’imposait de suspendre cette fermeture afin que la multiplication des travaux ne se fasse pas au détriment des habitants du quartier.

– Etes-vous favorable à un péage urbain?

Genève, sous l’ancienne législature, a répondu favorablement à la Confédération pour réaliser un essai pilote qui devrait se déployer en 2030 sans doute sous forme de modélisation. A titre personnel, je crains qu’une telle mesure institue une société à deux vitesses: celle qui a les moyens de s’offrir le sésame urbain et celle qui ne l’a pas. Ce qui n’est guère compatible avec les valeurs de mon mouvement, Libertés et Justice sociale.

– Et des Transports publics (TP) gratuits?

La Constitution fédérale l’interdit en vertu du principe utilisateur/payeur. Je suis néanmoins conscient qu’avec la perte du pouvoir d’achat que subissent les ménages genevois en raison de l’inflation, il est essentiel que le prix des abonnements et des billets soit accessible. Je rappelle toutefois que les tarifs n’augmentent pas, ce que le précédent gouvernement aurait pu initier au moment du lancement du Léman Express en 2019 puisque l’offre s’élargissait. L’attractivité des Transports publics genevois passe par l’augmentation des cadences, la fluidité et la vitesse commerciale. Leur utilisation doit devenir tout simplement une évidence. Je souhaite également sensibiliser certains publics, dont les seniors afin de les inciter à renoncer à la voiture au profit des transports publics

– Limiter drastiquement le stationnement en surface peut-il dégager de l’espace pour la création de zones affectées aux mobilités douces?

C’est une piste, sachant toutefois que nombre de parkings en sous-sols sont aujourd’hui peu utilisés, soit. Nous devons revoir la politique du stationnement des pendulaires dont la gratuité ne doit pas dépasser deux heures afin d’éviter les véhicules «ventouses».