«Un procès politique»

- «J’ai été condamné à vie pour des faits que je n’ai pas commis», martèle Erwin Sperisen, l’ex-chef de la police nationale du Guatemala, qui se confie en exclusivité au GHI.
- Le 3e procès s’ouvre le 16 avril à Genève. Il vient de saisir la Commission du Barreau des avocats et accuse notamment les défenseurs de la partie plaignante d’usurper de leurs fonctions.
- L’avocate de cette dernière dément catégoriquement, dénonçant un acharnement procédural. Notre dossier.

  • Erwin Sperisen est en liberté provisoire depuis six mois. CHRISTIAN BONZON Le bracelet électronique que porte Erwin Sperisen. CHRISTIAN BONSON

    Erwin Sperisen est en liberté provisoire depuis six mois. CHRISTIAN BONZON Le bracelet électronique que porte Erwin Sperisen. CHRISTIAN BONSON

  • Erwin Sperisen est en liberté provisoire depuis six mois. CHRISTIAN BONZON Le bracelet électronique que porte Erwin Sperisen. CHRISTIAN BONSON

    Erwin Sperisen est en liberté provisoire depuis six mois. CHRISTIAN BONZON Le bracelet électronique que porte Erwin Sperisen. CHRISTIAN BONSON

«J’apprivoise la liberté. Rien que de pouvoir ouvrir et fermer la porte soi-même, est une sensation extraordinaire»

Erwin Sperisen, ancien chef de la police nationale du Guatemala

Il a un peu repris goût à la vie depuis sa remise en liberté provisoire, exigée par le Tribunal fédéral, le 25 septembre 2017. Le binational suisso-guatémaltèque a retrouvé son épouse et ses trois enfants après cinq ans passés à Champ-Dollon à l’isolement. Equipé d’un bracelet électronique, il se rend, deux fois par semaine, au poste de police des Pâquis pour montrer qu’il est «toujours là».

«J’apprivoise la liberté»

«Au début, je devais pointer trois fois par semaine», explique-t-il dans la langue de Molière, apprise en prison. «Pendant mon absence, les enfants ont grandi, évidemment. Ils ont dû se réhabituer à ma présence. Moi, j’apprivoise la liberté. Rien que de pouvoir ouvrir et fermer la porte soi-même, est une sensation extraordinaire.» «Il a besoin de bruit, éprouve des difficultés à sortir seul dans la rue», constate son épouse, Elisabeth.

«Je demande l’acquittement»

Si la famille Sperisen a retrouvé goût au bonheur d’être ensemble, elle vit toutefois dans l’expectative du nouveau procès – le troisième – qui aura lieu à Genève, le 16 avril prochain. Erwin Sperisen plaidera l’acquittement. Une fois encore. «J’ai été condamné deux fois à perpétuité pour des faits que je n’ai pas commis [ndlr: des assassinats de prisonniers perpétrés à la prison de Pavon, au Guatemala, en 2006] et ce malgré l’absence notoire de preuves recueillies et de crédibilité des témoins», répète-t-il.

L’ancien chef de la police nationale guatémaltèque explique avoir fait l’objet d’un «procès politique». Il se dit «victime d’arbitraire et d’une condamnation rendue en violation de la Convention européenne des droits de l’homme.» Erwin Sperisen ne fait pas que le dire. Il l’a écrit à la Commission du Barreau, l’organe officiel chargé de la surveillance des avocats officiant à Genève. Dans un courrier que GHI s’est procuré, Erwin Sperisen explique à ladite Commission que les deux avocats de la seule partie plaignante dans le dossier – Me Alec Raymond et Me Alexandra Lopez – n’ont jamais été valablement mandatés (lire ci-dessous): «Ces personnes ont usurpé de leur fonction pour prétendument défendre une dame résidant au Guatemala, qui ne les connaît pas et est, aujourd’hui encore, partie à un procès contre sa volonté par l’entremise d’avocats qu’elle n’a jamais demandé à avoir.»

Erwin Sperisen interroge la commission dans laquelle figure d’ailleurs Me Alec Reymond ainsi que la présidente de la Cour qui a jugé et rejugera Erwin Sperisen: «Comment expliquez-vous que les Genevois aient déjà payé des dizaines de milliers de francs à ces avocats qui continuent de m’attaquer au nom d’une cliente qui ne leur demande rien?»

Question urgente au Grand Conseil

Le binational veut que toute la lumière soit faite sur cette affaire. Il n’est pas le seul. Le député Thierry Cerutti (MCG) vient de rédiger une question écrite urgente au parlement afin de connaître, notamment, le coût des procès et du séjour en prison ainsi que la qualité requise pour bénéficier, en tant que résident étranger, de l’assistance gratuite de deux avocats chevronnés. En fonction des réponses, le député n’exclut pas de demander, comme pour l’affaire Adeline, la création d’une commission d’enquête parlementaire.

«Le combat procédural, une ultime cartouche»

JUSTICE • «Cette énième attaque par les avocats d’Erwin Sperisen sur ma légitimité n’est pas nouvelle», souligne d’emblée Me Alexandra Lopez, avocate de la partie plaignante (lire ci-dessus). Qui précise: «Sur le plan cantonal, j’ai été confirmée à maintes et réitérées reprises en première instance et seconde instance. La question a également été tranchée de manière définitive par le Tribunal fédéral (TF). Je suis donc doublement légitimée. Je rappelle aussi que j’ai été nommée d’office.»

«Je suis sereine»

Dont acte. Reste cette dénonciation sur la validité de votre mandat qui vient d’être déposée par Erwin Sperisen devant la Commission du Barreau, organe officiel chargé de la surveillance des avocats à Genève. En résumé, il vous est reproché de représenter quelqu’un qui ne vous a rien demandé et avec qui vous n’avez pas de contacts. Bref d’usurper de votre fonction... Une réaction? «Je n’ai pas été informée sur la procédure devant la Commission du Barreau, mais je suis sereine, répond Me Alexandra Lopez. J’ai des contacts avec la plaignante qui relèvent du secret professionnel. Au sujet de la démarche, c’est un peu la dernière cartouche qu’il restait aux avocats d’Erwin Sperisen, spécialistes du combat procédural. Reste que faire feu de tout bois est un exercice qui a ses limites, poursuit l’avocate. S’en prendre systématiquement à moi et à la plaignante prouve surtout à quel point le travail effectué dérange. Dans tous les cas, ce n’est pas cela qui empêchera le Ministère public de faire son travail.»

Sur le fond de l’affaire justement, quelle est votre position sur l’annulation de la condamnation genevoise par le TF? «Il y a effectivement un troisième procès qui s’ouvre au mois d’avril, mais je rappelle que près de 95% des décisions genevoises ont été confirmées par le Tribunal fédéral. Elles portent notamment sur la planification et l’exécution d’un plan criminel ayant pour but de supprimer des détenus sans défense. On est donc loin d’un acquittement d’Erwin Sperisen pour ce troisième volet. Que la défense multiplie les attaques, les demandes de récusation, crie à l’acharnement de la justice, au complot politique sont une stratégie qui vise surtout à détourner l’attention des véritables problèmes du dossier et empêcher qu’on se pose les vraies questions.»

Propos recueillis par Giancarlo Mariani

Procès hors norme

Le troisième procès d’Erwin Sperisen doit débuter le 16 avril à Genève. Double national suisse et guatémaltèque, le quadragénaire a été condamné en juillet 2015 à la prison à vie pour avoir participé directement ou indirectement à l’exécution extrajudiciaire de dix détenus dans le pénitencier de Pavon, le 25 septembre 2006 au Guatemala, alors qu’il y dirigeait la police. Ce jugement a été cassé par le Tribunal fédéral (TF) en 2017. Après l’annulation de sa condamnation, Erwin Sperisen a été mis en liberté sous surveillance en attendant le jugement d’un procès d’ores et déjà considéré comme hors norme. Pour mémoire, l’homme avait quitté le Guatemala et retrouvé sa famille à Genève en avril 2007. C’est là qu’il a été arrêté le 31 août 2012. A ce jour, Erwin Sperisen a passé plus de cinq ans en détention préventive.