Le commerce genevois est-il en train de mourir?

Alors que l’inflation pénalise de nombreuses enseignes, les commerçants cherchent des solutions face à la concurrence des plateformes de vente en ligne. Selon des spécialistes, Genève manque d’ambition.

  • Les rues genevoises manqueraient d'attractivité

Un petit tour en ville suffit à s’en rendre compte: dans chaque quartier, de nombreuses enseignes commerciales peinent à trouver des repreneurs et restent vides pendant des mois, parfois plus. Une situation qui découle de facteurs multiples, parmi lesquels l’inflation, la hausse des coûts de l’énergie, la crise sanitaire, la difficulté de rembourser des prêts ou encore la morosité du secteur. Une réalité qui interpelle les autorités cantonales, à commencer par le Département de l'économie et de l'emploi (DEE), conscient de la rude concurrence exercée par les plateformes en ligne ou peu ou prou du tourisme d’achat.

Pour y faire face, le DEE, qui dispose d'un pôle d'expertise dédié au commerce de détail, travaille toute l’année en étroite collaboration avec les faîtières professionnelles et les partenaires. Cette collaboration assure un flux d’informations constant entre le terrain et l’administration. En outre, sa campagne «Cekelenô» – pour sensibiliser la population à l’importance d’acheter local – se poursuit en 2023 et 2024. Par ailleurs, les prix du commerce, dont la 10e édition a lieu en décembre, mettent en lumière les enseignes genevoises.

Observatoire du commerce

Depuis 2022, Genève dispose aussi d’un Observatoire du commerce qui soutient les enseignes dans leurs démarches. Enfin, le DEE met en œuvre des mesures d’accompagnement pour la transition numérique. Sur le terrain, les différents acteurs de la branche se mobilisent. A l’image de Sébastien Aeschbach, fondateur de la plateforme Genève Avenue qui regroupe 150 enseignes. «Le remboursement des prêts Covid a un effet dévastateur sur la trésorerie des indépendants pouvant mettre en péril leur exploitation. Et ce malgré des chiffres de ventes qui, pour certains, sont supérieurs à 2019», dit-il sans détour. Mais ce n’est pas tout, d’autres éléments affectent la bonne marche des affaires.

«Le niveau de digitalisation reste assez bas chez les indépendants, alors que les grandes plateformes d’e-commerce, souvent internationales, se sont considérablement développées. Ce qui constitue une concurrence féroce pour le commerce local. Les achats transfrontaliers ont repris leur niveau pré-Covid, même si la forte inflation chez nos voisins français a certainement freiné leur progression», relève-t-il encore. Alors? C’est bien pour renforcer la visibilité et la fréquentation des commerces locaux, qu’il a déployé son concept de club commercial. «Nous venons tout juste de conclure un partenariat avec la Fédération genevoise des Banques Raiffeisen qui permet à ses 50’000 sociétaires du canton de bénéficier de remises auprès des commerces de Genève Avenue. »

Non-indemnisation: un scandale?

Les travaux qui lacèrent Genève constituent aussi, pour certains commerçants – comme ceux du boulevard du Pont-d’Arve – un frein à la fréquentation des magasins.
Une motion, du conseiller municipal de la Ville de Genève PLR, Kevin Schmid est actuellement sous la loupe de la commission adhoc. Le texte Travaux de la Ville de Genève sur la voie publique: pour une juste considération des commerçants vise plusieurs objectifs. Comme l’explique l’auteur , il faut mieux coordonner l’organisation des réalisations de la Ville et du Canton. Au-delà, pour le parlementaire, «la motion doit faire prendre conscience aux autorités que s’il fallait indemniser les commerces, ce sont des centaines de milliers de francs qu’il y aurait à débourser».  Et c’est bien là que le bât blesse: la non-indemnisation des commerces impactés par des chantiers interminables. La loi, qui ne prévoit en effet aucun dédommagement pour des travaux d’intérêt collectif, plonge des indépendants dans des situations financières périlleuses. Ce que d’aucuns jugent comme purement scandaleux.

Contrôles douaniers

L’association Genève Commerces, qui défend les intérêts des commerçants de la place, est elle aussi sur le front. En plus des différentes actions cantonales auxquelles l’association participe, sa secrétaire générale, Flore Teysseire estime que l’on pourrait faire mieux en matière de contrôle douanier. Genève Commerces préside d’ailleurs également depuis peu la Plateforme du commerce, qui vise à rétablir les conditions d’une concurrence saine en demandant des mesures basiques contre les distorsions de concurrence. «Il s’agirait d’avoir des contingents suffisants, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. La libre circulation des services ne signifie pas la libre circulation des biens», considère-t-elle. «Jusqu’ici, nous n’avons pas trouvé de solution. Mais ces campagnes et actions vont clairement dans le bon sens, sans pour autant mettre le secteur sous perfusion», conclut Flore Teysseire.

La Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève (CCIG), estime pour sa part que plusieurs pistes supplémentaires devraient être explorées. «Face à la pression du commerce en ligne et à la concurrence de la France – nous avons 100 km de frontière avec elle – les tentations sont grandes. Nous pouvons espérer un rééquilibrage progressif, à condition d’œuvrer pour réduire la marge de certains produits, et ainsi augmenter l’attractivité», préconise Vincent Subilia, directeur général.

La CCIG affirme également qu’une plus grande flexibilité des horaires serait la bienvenue. Concrètement, il s’agirait de pouvoir être plus souple, en autorisant des ouvertures tardives ou le dimanche. «Il y a une vraie demande, considère Vincent Subilia, que ce soit du côté des consommateurs ou des employés, par exemple avec les étudiants dont certains apprécient de pouvoir travailler le dimanche.»
Enfin, la Chambre de commerce déplore un déficit de convivialité et d’attractivité à Genève, qui expliquerait également en partie la traversée du désert que connaissent certains commerces. «Si on veut que le badaud reste et consomme, il faut qu’il se sente bien. Aujourd’hui, les aménagements font défaut, les pistes cyclables ne sont pas cohérentes et la rue du Rhône est un raté… La Ville de Genève manque de vision et de volonté pour développer des projets d’ampleur. Si on corrigeait cet aspect, gageons que nos commerces se porteraient mieux.»