Des Urgences prises d’assaut

Les Urgences seraient-elles en surcharge avant même que ne sonne le glas d’un potentiel retour en force du Covid? Des patients ont été soumis à un délai d’attente de plus de six heures. Témoignages. Le conseiller d’Etat chargé de la Santé, Mauro Poggia, dévoile les pistes à l’étude pour améliorer la situation.

  • Aux HUG, on constate une augmentation des consultations, notamment en soirée.  STéPHANE CHOLLET

    Aux HUG, on constate une augmentation des consultations, notamment en soirée. STéPHANE CHOLLET

Il est 22h30 ce samedi de novembre, lorsqu’Emilien*, 32 ans, ressent une douleur vive dans l’omoplate. Il espère qu’un antalgique va circonscrire ce mal intense. En vain. A 23h, il pousse la porte des Urgences ambulatoires des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Quelques instants plus tard, l’infirmière en charge du tri, évalue son état et l’invite à prendre place dans la salle d’attente. Deux heures plus tard, il est dirigé vers la radiographie. «Ce n’est que vers 4h30 du matin, que j’ai pu avoir un diagnostic.»

Quelques jours plus tôt, Alice*, une quinquagénaire alerte, a dû, elle aussi, s’armer de patience avant qu’un praticien ne l’ausculte. Les Urgences seraient-elles en situation de congestion? Comme l’explique Nicolas de Saussure, porte-parole des HUG, il faut préalablement distinguer le temps d’attente et le temps de passage, le second inclut des examens médicaux et des analyses. Au-delà, assure-t-il: «Les Urgences ambulatoires sont soumises à maintes variables. Un nombre croissant de personnes viennent dans le service parce qu’elles ont renoncé à leur médecin traitant principalement pour des raisons financières. D’autres consultent en soirée car elles craignent les représailles de leur employeur si elles s’absentent durant le temps de travail.»

Une application gratuite

Sans oublier, dans quelques cas, une méconnaissance du réseau de santé. Il faut en effet savoir que les cliniques privées ont ouvert leurs urgences à tous les patients y compris à ceux qui ne disposent que d’une assurance maladie de base. L’application pour smartphone gratuite SmartHUG détaille les lieux d’urgence du canton, leurs horaires et le temps d’attente.

Pour rendre le service plus efficient, les HUG ont en outre mis en place diverses autres mesures. «A commencer par l’instauration de trois degrés déterminés selon la gravité de la pathologie, ce qui permet aux patients les plus gravement atteints, d’être pris en charge très rapidement. Et puis, les personnes qui ne souhaitent pas rester sur place peuvent, elles, rejoindre leur domicile, où elles recevront un texto leur indiquant que leur prise en charge est imminente.»

Manque de personnel

Reste à savoir, si les mises sous tension résultent d’un manque de personnel. Le nombre de médecins ne semble pas faire défaut – neuf assurent la permanence des patients alités le week-end et trois celle des personnes en ambulatoire (la nuit). En revanche, le recrutement d’infirmier(e)s demeure une problématique criante. En novembre 2021, à travers l’initiative sur les soins infirmiers, les milieux professionnels alertaient sur la grave pénurie de personnel dans leur secteur. *prénoms et noms connus de la rédaction

Quelques chiffres pour 2022

Urgences 1 (vitales): 95,5% des cas pris en charge immédiatement (les 4,5% dans les minutes qui suivent).
Urgences 2: 66,2% de prise en charge dans les 20 minutes.
Urgences 3: 76,1% des cas pris en charge dans les deux heures.

Evolution des entrées aux urgences couchées et ambulatoires (cumulées):
+6% entre 2019 et 2022.
+ 11% entre 2021 et 2022.

Malgré la charge de travail croissante (+17,7% de cas aux urgences couchées entre 2020 et 2022):
• réduction de moitié des urgences 2 excédant le délai d’admission de 20 minutes et de la durée d’attente moyenne des patients excédant ce délai d’admission.
• réduction de 40% du nombre de patients excédant le délai d’admission de 2 heures.

«Malgré les attentes, tous les patients qui ont besoin de soins urgents les reçoivent»

FORMATION • Trois questions à Mauro Poggia, conseiller d’Etat chargé de la Santé.

GHI: Votre projet de loi – financer la formation d’infirmier(e)s en France voisine – constituait une réponse au manque de personnel soignant à Genève comment expliquez-vous qu’il n’ait pas convaincu? Mauro Poggia: Il n’a jamais été question de financer la formation de personnel infirmier en France, mais de réunir, dans un lieu commun, avec un tronc de formation commun, les filières infirmières de Haute-Savoie et de Genève. Finalement, faute de vraies synergies, ce projet s’est réduit à une opération immobilière qui ne présentait aucun intérêt pour Genève. Par ailleurs, il serait absurde, sachant que le problème à régler consiste à éviter que du personnel formé en France vienne en masse travailler à Genève, de créer une filière de formation en France, qui garantirait ipso facto l’engagement sur territoire suisse. La solution doit donc être recherchée ailleurs.

– Genève manque-t-il de médecins privés qui pourraient être astreints à des prises en charge en soirée pour suppléer aux Urgences hospitalières? Si oui, pourquoi le Canton a-t-il réinstauré un numerus clausus pour la formation des médecins? Il n’y a pas de numerus clausus sur la formation, hormis le nombre de places que la faculté ouvre en deuxième année mais qui ne fait pas l’objet d’une régulation formelle. La clause du besoin n’a rien à voir avec cette situation puisque l’objective pléthore actuelle ne constitue en rien une réponse aux besoins de consultations sans rendez-vous qui aboutissent toujours davantage dans les services publics. Dans l’absolu, au contraire, la régulation permettra d’orienter vers des pratiques médicales qui répondent mieux aux besoins de la population.
Nous travaillons pour améliorer la situation avec trois pistes qui devraient aboutir prochainement: la mise sur pied d’une ligne médicale de tri et d’orientation vers des consultations sans rendez-vous en ville, le retour d’une vraie astreinte à la garde pour les médecins de ville et la formalisation du Réseau Urgences Genevois. En attendant, il convient de rappeler que malgré les attentes, tous les patients qui ont besoin de soins urgents les reçoivent. Ce qui demande des efforts financiers conséquents du secteur public pour nantir les urgences des HUG du personnel nécessaire. Efforts consentis régulièrement par l’Etat.

– Pour lutter contre l’hémorragie d’infirmier(e)s dans les départements français limitrophes, des élus français souhaitent demander aux élèves un remboursement des frais de formation en cas d’exercice de leur profession hors de France. Que pensez-vous de cette mesure? Cela démontre que la libre circulation peut avoir des effets pervers qui doivent pouvoir être contrôlés, comme la Suisse l’a expliqué sans succès à l’Union européenne. Par contre, en l’état actuel des accords bilatéraux, cette mesure pourrait bien être considérée comme une entrave inadmissible à la libre circulation. Il n’en demeure pas moins que l’on doit comprendre que les autorités françaises ne puissent se contenter de regarder avec fatalisme du personnel soignant formé aux frais des contribuables français, quitter le pays, en raison de l’attractivité des salaires suisses.