Bientôt un permis de conduire pour trottinettes et vélos?

La cohabitation entre autos, cycles, piétons, e-trottinettes ou à force musculaire est périlleuse. La police multiplie les actions préventives et répressives. Et les associations se mobilisent. Les Etats généraux des mobilités réunissant tous les acteurs de la région se tiendront le 1er septembre.

  • La méconnaissance des règles de circulation entrave le trafic de l’ensemble des usagers. TADEUSZ ROTH

    La méconnaissance des règles de circulation entrave le trafic de l’ensemble des usagers. TADEUSZ ROTH

Faut-il imposer un permis de conduire à tous les usagers de la route? La question est-elle indûment provocatrice? Pas dit. La soudaine multiplication des e-vélos, vélos traditionnels, trottinettes etvélos cargos qui s’enchevêtrent au trafic motorisé ne modifie pas seulement la typologie de la mobilité genevoise. Elle rend sans nul doute les déplacements – quel que soit le type de véhicule – non exempts de risques. Et la négligence coupable de quelques-uns n’est pas la seule en cause. La méconnaissance des règles de circulation participe aussi à l’accidentogénéité de la chaussée. C’est ce qu’affirme Marionna Schlatter, présidente de Mobilité piétonne Suisse. «Beaucoup de détenteurs de trottinettes électriques ne savent pas, par exemple, qu'ils ne sont pas autorisés à rouler sur les trottoirs. Ou encore qu'ils peuvent faire l’objet d’un retrait de permis s'ils utilisent une trottinette électrique alors qu’ils sont en état d'ébriété». Un avis que partage le Touring Club Suisse (TCS). «En Suisse, 75% des accidents sont dus à des usagers de la route qui ne respectent pas les règles de circulation ou qui commettent des infractions par inadvertance ou distraction», relève le porte-parole, Massimo Gonnella.

Une formation continue

Marionna Schlatter, préconise donc «la mise en place d’une formation continue pour tous les conducteurs». Mais ce n’est pas tout, la conseillère nationale verte juge que les infractions commises par les e-trottinetteurs et les cyclistes ne sont souvent pas sanctionnées. Et pourtant, il ne se passe pas une semaine sans que les agents de la police routière effectuent une opération de contrôle et/ou de sensibilisation. Comme l’explique Patrick Puhl, chef de l’unité routière de la gendarmerie de Genève: «Nous nous déployons sur les axes pénétrants, aux carrefours, sur la Voie verte, itinéraire dédié à la mobilité douce et reliant Genève à la France voisine». Depuis janvier 2023, sur 1093 infractions enregistrées par les forces de l’ordre, 250 ont été commises par des cyclomotoristes, 497 par des cyclistes, 226 par des e-bikers (25 et 45 km/h) et 120 par des utilisateurs de trottinettes électriques. Reste que verbaliser les contrevenants est dans ce domaine complexe. «C’est une affaire de proportionnalité. Imaginez qu’un cycliste brûle un feu et que des policiers de la brigade en soient témoins. Doivent-ils engager une course-poursuite et mettre ainsi en danger l’auteur de l’infraction en même temps que les personnes présentes alentour?», reprend Patrick Puhl. Président de la section genevoise de Pro-vélo, Olivier Gurtner, explique pour sa part que face à la flambée des cyclistes – leur nombre a doublé en dix ans – il faut miser sur l’encadrement et la sensibilisation aux règles de circulation. «Notre association intervient auprès des écoles et des entreprises pour localiser les parcours sécurisés». Une action d’autant plus pertinente que, selon lui, beaucoup d’adeptes de la mobilité douce, parmi lesquels une majorité de femmes, y renoncent par peur d’être victimes d’un accident.

Caroline Marti ne nie pas l’inconséquence dont font preuve certains usagers de la chaussée, toutes catégories confondues. Mais la présidente de l’Association Transport et Environnement (ATE) Genève pointe aussi du doigt les infrastructures. Si le Canton a accéléré la mise en place de zones dédiées à la mobilité soft, leur accès manque de clarté. «Au Jardin anglais, le flux des piétons chevauche celui des cyclistes. En d’autres points de la Ville, les axes cyclistes sont saturés.» Alors? «Pour augmenter le réseau dédié aux vélos et e-vélos, il faut que les itinéraires soient aménagés sur l’espace routier et non sur celui affecté aux piétons.»

En attendant, les autorités ne restent pas les bras croisés. «Plusieurs nouvelles infrastructures seront mises en service au cours de la législature 2023-2028 qui développeront l'offre précise Sébastien Deshusses, responsable de l’information et de la communication à l’Office cantonal des transports. D’ici 2030, 175 km à l’usage des cycles légers ou e-cycles s’ajouteront à l’offre existante.

Identifier les bonnes pistes

«L'amélioration globale des déplacements dans le canton doit toutefois passer par la recherche de consensus quant à l'organisation des flux. En même temps que la population doit être accompagnée vers les changements de comportements modaux imposés par l'accroissement démographique de la région, l'urgence climatique, l'amélioration de la qualité de vie et l’attractivité de Genève», souligne encore Sébastien Deshusses.

C’est donc pour relever un défi placé au cœur des politiques publiques que le Département de la santé et des mobilités (DSM) organise le 1er septembre les Etats généraux des mobilités. Ils rassembleront tous les acteurs de la région et devraient traiter de la sensibilisation au respect des règles de circulation des différents usagers du domaine public.

Des chiffres-clés

AG • 92 millions : c’est le nombre des véhicules contrôlés à Genève en 2022 (radars fixes, mobiles et semi-stationnaires).

479 cas : c’est le nombre de personnes en état d’ébriété impliquées dans un accident de la circulation en 2022.

5 : c’est le nombre d’accidents survenus depuis le 1er janvier 2023 et qui ont coûté la vie à deux cyclistes, deux motards et un automobiliste. Durant toute l’année 2022, 9 personnes sont décédées sur les routes.

Circuler en toute sécurité: mode d’emploi

CODE DE LA ROUTE • Les règles de la mobilité 2.0 détaillées par Jean-Pierre Knoblauch, responsable sécurité routière à de la section genevoise du Touring Club Suisse.

GHI: Qui roule où ?
Jean-Pierre Knoblauch: L
es utilisateurs de trottinette à force musculaire et engins assimilés (rollers, planches à roulettes, etc.) doivent emprunter les trottoirs, chemins et zones piétonniers, routes secondaires peu fréquentées. Ils ne peuvent pas circuler sur les routes principales, lorsque l’accès est interdit aux piétons. La trottinette électrique, accessible dès 14 ans avec permis (catégorie M) ou 16 ans sans permis, est limitée à 20 km/h et doit emprunter les pistes, bandes cyclables ou la chaussée. Concernant les vélos, les enfants jusqu’à 12 ans peuvent circuler sur les trottoirs et les zones piétonnes mais la vitesse doit être adaptée, sachant que les piétons sont prioritaires. Les autres utilisateurs de vélos doivent rouler sur la route, les pistes, les bandes ou zones cyclables (les trottoirs et zones piétonnes sont interdits).

Quant aux vélos électriques (25 et 45 km/h)?
Ils ne peuvent pas circuler sur les trottoirs mais doivent utiliser la chaussée ou les pistes et bandes cyclables lorsqu’elles sont présentes.

A quelles conditions, les cyclistes peuvent-ils s’affranchir des feux rouges?
S’il y a une signalisation lumineuse spécifique (en phase verte) pour les vélos et lorsqu’il y a une plaque complémentaire fixée aux feux qui les autorise à tourner à droite. Ils ne sont cependant pas prioritaires (par exemple, s’ils croisent un passage pour piétons).

Ont-ils le droit de doubler par la droite ?
Ils doivent circuler sur le bord droit de la chaussée afin de ne pas gêner le trafic. Par conséquent, si la file de voitures est à l’arrêt ou plus lente, ils peuvent remonter cette dernière tout en restant très prudents car une voiture pourrait obliquer à droite et leur couper la route. Les cyclistes entre eux sont soumis aux mêmes règles que les autres véhicules, donc un vélo plus rapide qu’un autre doit doubler par la gauche. A noter que ces règles s’appliquent en Suisse. Les dispositions prévalant en France voisine diffèrent dans certains cas. Par exemple, le vélo électrique rapide n’est pas admis sur les pistes cyclables et les trottinettes électriques peuvent circuler qu’à 25 km/h (VS 20 km/h) en Suisse.

Mobilité, la jungle? l'éditorial d'Adelita Genoud

On connaît la chanson: sur la route, l’enfer c’est évidemment les autres. En clair, le mauvais coucheur c’est le cycliste trop téméraire, l’utilisateur de trottinette casse-cou, le piéton effronté, le motard inconséquent ou encore l’automobiliste obstiné. Soit. Mais la Genève qui se déplace est devenue multimodale. Elle enfourche tour à tour une bicyclette «à l’ancienne» ou dotée d’une assistance électrique, est juchée sur une e-trottinette, saute dans un bus ou un tram, prend place au volant de sa voiture ou au guidon de son deux-roues. Autant dire que la sécurité routière est l’affaire de tous. Toutefois le caractère accidentogène du réseau mobile n’est pas uniquement imputable à celles et ceux qui jouent les démiurges de l’asphalte. Les associations, véritables porte-drapeaux de la prévention évoquent aussi une méconnaissance des règles prônant du même coup une formation continue à destination des usagers de la route, sorte de mise à jour régulière des données régissant l’organisation de la circulation. Bien vu! Mais la cité de Calvin, minée par l’exiguïté de son territoire, pèche encore à la fois par son manque d’infrastructures dédiées aux différents modes de déplacements en même temps que par l’absence d’une signalétique explicite. En décrétant des Etats généraux où chaque acteur de la mobilité pourra exprimer ses idées pour ensuite passer à l’action (et non l’inverse), le nouveau patron du Département des mobilités, Pierre Maudet, ne met pas la charrue avant les bœufs.